Dre Caroline Trang et Elodie Basset au CHU de NantesAu CHU de Nantes, Elodie Basset, anime des séances d’éducation thérapeutique aux côtés de la Dre Caroline Trang, gastro-entérologue. Atteinte d’une maladie chronique inflammatoire de l’intestin, cette patiente-experte s’est formée pour transmettre à d’autres malades les compétences psychosociales qui complètent l’information délivrée par les médecins.

Elodie Basset, patiente-experte"Etre patient, c’est un job !" Pétillante, le sourire en bandoulière, Elodie Basset explique : « Des études ont montré que les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive ou d’hypertension étaient contraints de consacrer en moyenne 20 heures par semaine à leur maladie, entre les rendez-vous médicaux, le renouvellement des ordonnances, les soins ou la prise de médicaments. »

"Pour les Mici, je ne sais pas", reconnaît la jeune femme. Les Mici, ou maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Elodie souffre de l’une de ces pathologies depuis l’âge de 18 ans. A 38 ans, cette ancienne responsable marketing est aujourd’hui patiente-experte au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes. C’est en 2006, sous l’impulsion d’un gastroentérologue de l’hôpital Rangueil de Toulouse où elle est suivie, qu’Elodie fait ses premiers pas
en la matière.

"Il m’a proposé de faire partie du comité de lecture de l’outil pédagogique Edu-Mici. J’ai découvert l’éducation thérapeutique, non pas en en bénéficiant, mais grâce à cette activité de relecture."

"Moi aussi, je veux dire merci"

A l’époque, Elodie est référente Midi-Pyrénées d’une association qui organise des week-ends pour sensibiliser les jeunes patients à la prise en charge de leur Mici. Au cours d’un de ces événements, le déclic se produit pour elle.

"J’animais un atelier autour de mon expérience de la maladie auprès de jeunes de 18 à 30 ans. J’ai réalisé à quel point ils étaient débrouillards et combien la maladie les avait, contre toute attente, changés de manière positive."

La maturité d’un des participants la touche profondément. "A la question “Quel mot aimeriez-vous adresser à votre maladie ?”, il a répondu merci. Et il a précisé cette douceur qu’il avait développée, ces nouvelles attentes qui étaient désormais les siennes, ces amis qu’il avait choisis...

Et je me suis dit : "Il a raison ! Moi aussi, je veux pouvoir dire merci !”"

Elodie quitte son emploi, suit son conjoint à Nantes et postule au diplôme universitaire (DU) d’éducation thérapeutique de l’université. Problème : cette
spécialisation n’accepte pas les patients, seuls les soignants y sont admis ! Déterminée, elle parvient à imposer son dossier. "J’étais certaine d’avoir une valeur ajoutée", affirme cette pionnière, qui se souvient être rentrée dépitée par le premier séminaire de sa promotion où les professionnels de santé employaient un jargon qui lui était étranger. Elodie finit par se faire une place et complète sa formation par le master d’éducation thérapeutique de Catherine
Tourette-Turgis, à Paris VI.

Autosoin et stratégies d’adaptation

Depuis 2011, la jeune femme coanime aux côtés de médecins, d’infirmières, de diététiciennes et de psychologues des séances collectives d’éducation
thérapeutique sur les Mici au CHU de Nantes.

Son expérience et sa formation lui ont permis de participer à la conception de ce programme, avec l’ambition d’y apporter une touche moins médicale. "Au savoir scientifique des médecins, j’ajoute un savoir expérientiel, mais sans parler de ma propre maladie."

Dre Caroline Trang, gastroentérologue au CHU de Nantes "Un patient-expert n’est pas un patient-témoin, confirme la Dre Caroline Trang, gastroentérologue, qui coordonne le programme Mici. On peut faire appel à des patients-témoins sur des points particuliers, comme les stomies. Le patient-expert, lui, souffre d’une maladie chronique sur laquelle il a pris du recul. Il a surtout suivi une formation pour ses interventions. Son expérience lui sert, mais ce n’est pas ce qu’il transmet."

Elle poursuit : "Sa participation vise à développer chez les malades deux types de compétences : l’autosoin, c’est-à-dire comment prendre son traitement, gérer son stock de médicaments, lire un bilan biologique pour savoir à quel moment consulter ; et des compétences psychosociales telles que gérer la fatigue, élaborer des stratégies d’adaptation, retrouver l’estime de soi, évoquer sa maladie au travail, envisager une reconversion professionnelle…"

Changer de posture

Du côté des blouses blanches, l’éducation thérapeutique est l’occasion de se poser et de changer de posture, indique encore cette gastroentérologue. "Dans une consultation, tout est chronométré. On pose des questions fermées, dont l’objectif est de recueillir des informations incontournables. Par exemple, le nombre de selles par jour. L’éducation thérapeutique nous autorise à nous intéresser davantage au quotidien des patients ou à interroger leurs représentations mentales de la maladie."

"L’éducation thérapeutique nous autorise à nous intéresser davantage au quotidien des patients ou à interroger leurs représentations mentales de la maladie." Dre Caroline Trang

Dans ce contexte, le patient-expert peut déclencher des prises de conscience parmi le corps médical. "Alors que nous avions prévu une séance sur le traitement des Mici, Elodie nous a fait remarquer que notre approche était très théorique. En revanche, aborder le sujet sous l’angle “Comment voyager avec son traitement ? Comment gérer le décalage horaire ? Peut-on sauter une prise ?” est plus proche des préoccupations réelles des malades."

Le regard de la patiente-experte a également convaincu cette spécialiste que rassembler au sein d’un même programme des personnes atteintes de rhumatismes inflammatoires et d’autres souffrant de Mici n’était pas une bonne idée. "A nos yeux de soignants, il y avait beaucoup de similitudes justifiant une mise en commun de moyens, avoue le Dre Caroline Trang. Mais, montrer aux uns qu’ils pourraient un jour souffrir des symptômes des autres était tout simplement contre-productif. C’est en cela que le patient-expert favorise le changement de point de vue."

Patient-ressource, patient-partenaire…

"Le patient-expert réinterroge aussi la pratique du médecin durant la phase critique du diagnostic, ajoute-t-elle. Il nous rappelle qu’il y a des mots que l’on
ne peut pas prononcer d’emblée. Et ça n’est pas inné ! Ce ne sont pas, non plus, des choses que l’on apprend à la fac. Globalement, ce patient, qui fait le pont entre les malades et les soignants, invite le médecin à plus d’empathie."

Sur la crainte que certains pourraient ressentir d’être dépossédés de leur savoir par ce patient "sachant", cette gastroentérologue assure : "Personnellement, je n’avais aucun a priori. On ne s’est pas donné de limites, le partage des rôles s’est fait naturellement. Les connaissances médicales restent ma partie, mais nous avons coconstruit les séances."

"On ne peut pas nier que l’arrivée du patient “expert” ait crispé certains médecins, heurtés par cette terminologie, souligne, pour sa part, Elodie. C’est pourquoi on parle parfois de patient-ressource ou de patient-partenaire."

Quelle que soit l’appellation retenue, c’est une relation de confiance qui s’établit lors des séances d’éducation thérapeutique. "Un patient me confiera
plus facilement qu’à son médecin qu’il ne prend pas son traitement. Avouer que l’on n’est pas observant n’est pas facile… Lors des séances d’éducation thérapeutique, des supports pédagogiques aident les malades à développer des compétences psychosociales telles que gérer la fatigue, retrouver l’estime de soi, évoquer sa maladie au travail… Dans ce cas, j’écoute la personne, je lui dis que je comprends, que ce n’est pas facile de prendre des médicaments
sur le long terme. Je la rassure en lui expliquant que cela arrive à tout le monde, mais qu’il faut faire attention au risque de rechute."

Si elle prend son rôle très à coeur, Elodie connaît toutefois ses limites : "J’ai suivi une formation en gestion des émotions, pour ne plus avoir peur de mes propres émotions, mais aussi être capable d’accueillir celles des participants. Malgré cela, en tant que malade moi-même, il y a des jours où je ne suis pas en état d’écouter les problèmes des autres !" C’est néanmoins au service des autres qu’Elodie a réorienté toute sa vie professionnelle : outre son activité
bénévole au CHU, elle est coordinatrice de la Fabrique créative de santé, une association elle aussi dédiée à l’éducation thérapeutique.

Et aujourd’hui, à son tour, cette maman de trois enfants peut dire "merci" à sa maladie."Merci de m’avoir permis de réaliser mon projet professionnel, de me sentir utile et de m’accomplir."

Source : Mutations/Mutualité Française, auteur de l’article Sabine Dreyfus et crédit photo Nathanaël Mergui/FNMF.

 

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